"Chine" : course contre la montre

Lianyungang, Jiangsu, Chine 0

Jour 1

Je ne veux pas que mon blog devienne la chaîne météo de Chine, alors je décide de ne plus vous soûler avec ça ; plus de pluie, plus de vent, plus de soleil, plus de pression atmosphérique. Imaginez qu'il fasse beau.
Je galère pour sortir de Wuhan. Je dois traverser le fleuve mais les ponts sont interdits aux vélos et celui pour piétons a des tourniquets pour empêcher les 2 roues d'y aller. Je demande à un policier et il me dit qu'il y a un ferry pas loin. Me voilà de l'autre côté, je roule sur une grande route désertique. On dirait que le pays s'est arrêté, que c'est une journée de deuil national.
Je passe par un village touristique à côté d'un beau lac. Vous voyez la raison pour laquelle je ne prends pas beaucoup de photos ces derniers temps. Le quotas journalier atteint je m'arrête à Macheng dans une maison d'hôte tenue par une famille très sympa, deux personnes âgées et leur fille, enceinte jusqu'au oreilles.
Le lac Daoguanhe
Macheng

Jour 2

Le futur grand-père a l'air trop content de ma présence. Déjà la veille il voulait trop m'emmener au restaurant, ce matin je n'échappe pas au petit-déjeuner offert. Il monte sur sa moto et va me chercher des bao zi. Je profite de l'attente et du fait que sa fille parle anglais pour rappeler la compagnie et réserver mon billet. Un coup sous la ceinture - le trajet n'est pas quotidien. Il n'y a que 2 départs par semaine, jeudi et lundi, c'est beaucoup plus logique. Mon visa expire le samedi, pile entre les 2. Les réservations ouvrent 3 jours avant le départ, donc il faut attendre.
J'avale mon petit-déjeuner et je repars précipitamment. Le plan change, c'est trop soudain et je suis encore sous le choque. Je viens de perdre 2 jours et d'après mes calculs je dois faire 170km par jour pour y arriver. Je me force de faire sortir ces chiffres démoralisants de ma tête. Voilà quelques options pour la suite :
J'avance tranquillement et je prends le train le dernier jour. C'est hors de question.
J'arrive comme prévu le vendredi et j'attends jusqu'à lundi. Cela implique une amende de 1000 yuans (140€), pour le dépassement du séjour autorisé. C'est pas une option, surtout je risque d'avoir une interdiction d'entrée en Chine.
Je prends le défit et je pédale comme un taré. J'en suis tenté.
Une dernière option consiste à arriver le dernier jour de mon visa (samedi) et essayer de passer la douane. Ensuite attendre le départ du bateau le lundi. Comme dans "Le terminal" avec Tom Hanks. Ironie du destin, dans ce film l'acteur incarne un personnage venu d'un pays de l'Europe de l'Est et qui parle bulgare. Bref, ça reste un film et je ne pense pas que les chinois m'autoriseront à passer 2 jours en zone duty free.
La route est belle, me proposant de beaux paysages montagneux. Les minutes se fondent dans les heures, les mètres dans les kilomètres. J'avance démoralisé mais motivé. Pour la pause de midi je goûte à un pain spécial. On dirait la pate de pizza avec de la ciboulette et des graines de sésame. C'est cuit dans un four cylindrique, la fine pâte collée aux parois, autour des braises. C'est sec et croustillant. La personne devant moi me l'offre.
Je trouve un raccourci non indiqué sur ma carte et je gagne quelques précieux kilomètres. J'utilise les dernières lueurs de cette journée. J'arrive à la frontière de la province Anhui juste avant la tombée de la nuit. Ce soir l'attraction du village c'est moi. Je me retrouve avec 5 personnes à ma table au restaurant. Ils me regardent manger. Au supermarché des gens me suivent pour voir ce que j'achète.
Avec le raccourci j'avance de 195km sur le plan pour "seulement" 165 au compteur. J'examine la carte plus en détail et j'arrive à grappiller une centaine de kilomètres. Le plan devient plus réaliste.
Rivière calme 
Pain spécial 

Jour 3

Je pars motivé plus que jamais. Aujourd'hui la couleur dominante change brusquement. Du vert qui m'accompagnait jusqu'à là le paysage vire au jaune des champs de blé. La moisson bat de son plus fort. Des machines agricoles viennent et vont toute la journée. Après le moissonnage, le gens décident de transformer la route en zone de séchage. À certains endroits ils occupent la moitié de la route rendant la circulation assez difficile. Des fois les camions sont obligés de rouler sur la récolte. Pour répondre à ça, les agriculteurs posent des planches avec des clous. Du blé partout, c'est incroyable. Les grains de céréales recouvrent toute surface goudronnée : terrains de sport, parkings, des rues entières. Ce changement de culture explique l'apparition des pains.
Ce matin je goûte une préparation différente du pain qu'hier, cette fois frit. C'est toujours bon mais je préfère celui cuit au four, moins gras et croustillant.
Depuis quelques jours les chinois sont beaucoup plus envahissants. À chaque arrêt, j'ai droit à des photos, inspection de mon vélo, ma nourriture, mon téléphone. Je suis obligé de faire les courses et partir chercher un endroit calme pour manger.
Les champs m'emmènent jusqu'à un village ancien - Shouchun. Je m'attendais à un petit village avec 2-3 temples, et j'arrive dans un ville très touristique. Des remparts délimitent la vielle ville, proposant 4 entrées. Quelques anciens bâtiments gardent le souvenir d'une époque lointaine mais la grande partie de la ville est moderne. Les hôtels sont nombreux mais étrangement personne ne veut de moi. Il m'arrive la même chose qu'à Wuhan. Je suis traité comme un lépreux. Je trouve finalement un hôtel qui m'a refusé au début mais après un geste d'incompréhension et désespoir, le gérant me propose une modeste chambre pour un prix tout aussi modeste.
La récolte 
Shouchun
Shouchun

Jour 4

Ce matin je conduis comme un cinglé, un fou furieux. Je fais la course avec les mobylettes électriques et avec quelques courageux cyclistes. Ma furie continue et l'après-midi. Il ne faut oublier le plan infernal que je dois suivre pour arriver à temps.
Les paysages ne changent pas, toujours du blé et des routes recouvertes de grains. En fin d'après-midi alors que je suis à 30km d'une ville, j'arrive à un endroit où la route se sépare. Il est facile de sortir le GPS et de vérifier mais je décide de demander à un gars qui me suit avec sa 4x4 et me prend en photo depuis une dizaine de minutes. J'obtiens la bonne direction et le mec sort de son coffre une pastèque et me l'offre. J'arrive non sans difficulté à lui expliquer que mon vélo est déjà très lourd et que même si j'adore la pastèque je ne peux que refuser.

Jour 5

Je me réveille à 3h du matin car quelqu'un a décidé d'utiliser un sèche-cheveux hyper bruyant dans le couloir. Puis c'est une dame qui pleure toute la matinée. Au moins aujourd'hui je pars tôt. Tout d'abord la journée met en épreuve mon honnêteté. Le réceptionniste me rend 20 yuans, la caution pour la clé, alors que je n'ai donné que 10 la veille. Je lui rend la moitié. Je pars à la recherche de mon petit-déjeuner préféré depuis quelques jours. Je trouve une autre version du pain, celui-là cuit au four avec un peu de matière grasse, l'équilibre parfait. Le destin me récompense sans tarder. Je regarde délicieusement mon futur petit-déjeuner et je le montre du doigt à celui que je pense être le vendeur. Je me retrouve avec ce que je voulais mais la personne refuse mon argent. Je le remercie et je repars.
Sur la route j'avance à grands pas au milieu des champs de blé, des pêchers et des mirabelliers. Je vois un camion arrêté et des gens qui me font des signes. Encore une séance photo. Ils me donnent une bouteille d'eau que j'accepte volontiers et au moment de repartir un d'eux sort de sa poche une liasse de billets et me tend quelques petites coupures, environ 20 yuans. Enfin je suis payé pour les selfies, il etait temps. Quelque chose en moi doit susciter la pitié. Peut-être la barbe et les cheveux en pétard sont un signe de pauvreté. Je refuse évidemment.
C'est aujourd'hui ou jamais, le temps de faire une bonne avancée et assurer une arrivée tranquille au port demain. Le compteur affiche 160km et j'approche une grande ville, timing parfait. Je demande de l'aide à 3 dames devant un magasin. Ça rigole bien et une d'elles me dit de la suivre. Il se trouve qu'elle a une maison d'hôte, ou plutôt un appartement d'hôte, au 2ème étage d'un immeuble. C'est pas très pratique pour le vélo et les bagages. L'appartement est mal entretenu, limite miséreux, mais le prix correspond parfaitement à son état. Je ne vais pas y vivre toute ma vie et j'accepte la chambre la moins chère.
Petit-déjeuner chinois 

Jour 6

Je ne suis qu'à 90km de Lianyungang, moi qui m'inquiétais pour l'arrivée, je suis même en avance sur le plan. Cette avance est réduite par une crevaison à l'avant pour le bonheur des villageois du coin. Je deviens vite le centre d'intérêt de la région et je terminerai probablement à la une du "WangYunShunBinBun Times". Je vois déjà la couverture "Un visiteur mystérieux en péril !!! Nos camarades ont essayé d'établir le contact avec l'alien mais il parle une langue inconnue, d'une province lointaine." C'est très drôle quand je leur parle en bulgare, ils font tous une tête de... chinois.
Dans mon plan je n'avais pas prévu que le port se trouve à 40km de la ville, un dernier effort est nécessaire. D'ailleurs il y a 2 ports et instinctivement je me dirige vers le plus grand. Je demande de l'aide à un policier et là, le dictionnaire d'images de Nathou me sauve la mise. Je fais fausse route, je retourne au petit port. Cela m'épargne un détour de 15km.
Tout est fermé, aucun signe d'activité, juste un gars de la sécurité qui se fait chier. Je trouve un restaurant/hôtel juste en face et j'imagine les pires scénarios. Vers 20h le cuisinier s'amène et me dit qu'il faut libérer la chambre et dégager. La police n'a pas voulu m'enregistrer. Il faut aller dans un grand hôtel. Je ramasse mes affaires et je pars à la recherche d'un nouvel abri. Ce n'est pas long, à 200m je tombe sur une gérante beaucoup moins respectueuse des règles de la police.
J'apprends que la ligne Lianyungang - Incheon en 2014 un bateau a coulé emportant avec lui un tas d'âmes. C'est bon à savoir avant de monter à bord.

Jour 7

Je file au port à la première heure et c'est toujours fermé. Je demande à une dame qui fait du yoga et elle me dit de revenir vers 8h. L'angoisse est terrible.
Finalement vers 8h30 un premier guichet ouvre. Tout se passe comme sur de l'eau et le vélo est accepté sans aucune objection. L'heure de départ est dans le domaine de la supposition et on me dit qu'il y aura plus de précisions vers 11h. Je retourne en ville pour perdre un peu de temps.
Ce voyage vers la Corée, en bateau, commence pourtant en car. Après le passage de l'immigration, tous les passagers montent dans un bus en direction de l'autre port, le granrd où je voulais aller hier. Je demande de le suivre à vélo mais étant virtuellement en dehors de la Chine, j'obtiens un refus strict. Günther se serre dans le coffre et on repart. Me voilà à bord du ferry pour une traversée de 24h en Mer Jaune. Les cabines sont petites mais confortables, disposant de 4 lits superposés, avec télé, WC et douche. Le ronronnement du moteur est comme une berceuse. Je m'écroule même avant le départ. La fatigue accumulée pendant ces 2 semaines de course folle prend le dessus. Au réveil je fais le tour du bateau qui, d'après le plan, offre piscine, sauna, gym, restaurant, bars, casino, cinéma, magasins et même un coiffeur. Tout est fermé. Je retourne dans ma chambre pour me rendormir. Vers 17h30 quelqu'un tape à la porte, un officier. Il me dit qu'il faut aller manger. Nous sommes plus d'une centaine sur le bateau mais j'ai droit à un service particulier étant le seul étranger. Je ne sais pas comment ils ont remarqué mon absence. Le restaurant est en train de fermer mais personne ne me presse. Après 2 portions de riz avec boeuf aux oignons je sors pour admirer le coucher de soleil. Aucun iceberg à l'horizon, je me couche sur les deux oreilles.
Piscine 
Coucher de soleil 
Macheng
Macheng
Champs
Roue de secours
Shouchun
Shouchun
Shouchun - mosquée
Île d'algues
Le restaurant
Piscine
Casino


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