"Japon" : de Fukuoka à Hiroshima

Jour 1

Le bateau entre dans le port de Fukuoka à l'aube. Comme les douaniers dorment encore, nous faisons pareil. Après 2h d'attente, me voilà au pays du Soleil Levant. Je demande à l'Office du Tourisme où je peux trouver un camping. La dame me donne la localisation imprécise, "Quelque-part dans cette montagne". Je repère un autre sur ma carte, comme ça j'ai le choix.
Les japonnais ne sont pas très matinaux. À 8h30 tout est toujours fermé. Je trouve enfin un supermarché pour me concocter un petit-déjeuner. Je passe la journée à me promener au centre-ville. Les vélos sont partout, les piétons aussi. Je dois me réhabituer à la conduite à gauche. Quelques fois je prends le sens inverse mais les conducteurs japonais sont très patients et ne connaissent pas le klaxon. Je traîne les pneus aux ruines du château de la ville et je pique-nique dans ses jardins.
Je me dirige vers le camping caché dans la montagne. Avant de commencer la montée je demande à un passant s'il existe vraiment. Le garçon vérifie sur le web et me confirme. Il me donne même l'emplacement exact. Arrivé à l'entrée du parc un gardien m'arrête et avec des gestes me fait comprendre que le camping est fermé et il me renvoie avec un "No camping". Je lui réponds avec une insulte en bulgare, comme ça on est quitte.
L'autre camping se trouve au côté opposé de la ville, à 25km, dont 7km vers le sommet d'une colline. Cette fois pas de doute, un motard me dit qu'il y va aussi. L'ascension est dure mais je suis chargé d'énergie. J'arrive au but juste à la tombée de la nuit et plusieurs tentes y sont déjà installées. Beaucoup d'autres sont venus juste pour dîner en mode camping et repartent aussitôt le repas fini. Je passe la soirée avec le garde forestier qui parle bien anglais. C'est un amoureux des chats ; 5 félins poilus et fainéants dorment dans sa voiture. Il veut me faire goûter des pains japonais. Je pioche dans le sac et à la lumière de ma frontale je découvre un mini croissant au beurre. Ils ont de l'humour ces japonais.

Cabine sur le bateau

Fukuoka

Les lumières de Fukuoka

Jour 2

Je descends de la montagne et je retrouve la côte. L'itinéraire que je suis emprunte des routes calmes et bordées de trottoir cyclable. Les villages de pêcheurs, les plages et les forêts de pin se succèdent. L'approche de la ville de Kitakyushu est annoncée par le changement de paysage. Les forgeries remplacent la nature. Le centre-ville est très beau avec un superbe château et parc autour. C'est le parfait endroit pour une pause goûter.
Je trouve le camping municipal sur un panneau touristique. Cette fois la montée n'est pas si difficile. Le parc est beau et calme. Quand la dernière personne qui promène son chien s'en va, je m'installe sous un abri protégé du vent. Le garde forestier m'a prévenu qu'on avait annoncé une mauvaise météo.

Le littoral

Le château Kokura

Jour 3

Je sens l'humidité monter dans l'air. Les premières gouttes arrivent timidement et mouille à peine. Sur la route pour le port de Moji j'assiste à la reprise du travail des ouvriers d'un chantier de construction. Rangés, ils s'échauffent accompagnés d'une musique de dessin animé japonais. Avec leur uniforme on dirait des Playmobils vivants. Je m'efforce de ne pas exploser dans un fou rire. Je monte sur un bateau rapide pour traverser le canal Kanmon Kaikyo et quelques minutes plus tard j'accoste sur la principale île japonaise, Honshu.
La route quitte rapidement la côte Pacifique et monte doucement dans les montagnes. Le premier arrêt obligatoire est Akiyoshido, la magnifique grotte de calcaire. Ses dimensions sont spectaculaires. On peut y admirer les talents artistiques de la nature ; toutes ces beautés créées par la rivière souterraine. Depuis la grotte on peut emprunter un ascenseur et monter 80m, à la surface, pour se retrouver au milieu de Akiyoshidai, le karst. Ce champ de pierres calcaires est le plus grand du Japon. On dirait Carnac, mais sans l'intervention extra-terrestre. Le karst s'est formé il y a 350 millions d'années comme des coraux au fond de la mer.
Après cette longue pause je reprends la route qui traverse le karst proposant ainsi de magnifiques paysages. La pluie retrouve des forces et maintenant mouille tout sur son passage, surtout les cyclistes. Je passe à côté d'une aire de repos et je trouve l'abri plus que précieux aujourd'hui. J'ai mal géré la nourriture et je me retrouve sans rien au milieu de nulle-part. Aucun village dans les environs et encore moins un supermarché. Je dois me contenter de ce que la nature m'offre. Je trouve des mûres sauvages dans le parc mais elle ne sont pas terribles. Je m'endors le ventre vide.

L'entrée de la grotte

Rizières

Colonne d'or calcaire

Karst

Jour 4

Je me réveille à 5h et je me prépare très vite, motivé par la faim. Avant même de donner le premier coup de pédale, je constate que le pneu arrière est dégonflé. J'adore comment le destin joue avec moi, essayant de me mettre des bâtons dans les roues et me casser les rayons. Je dois attendre 25km pour trouver le premier supermarché ouvert. Un petit-déjeuner calorique et mérité.
J'arrive rapidement sur la côte ouest et la ville touristique Hagi. Les visiteurs sont attirés par le vieux quartier. C'est un quartier résidentiel mais si on fait attention aux panneaux on trouvera d'anciennes maisons conservées de l'époque Edo (17em - 19em siècle). C'était un nid de samouraïs, qui ont joué un rôle très important dans la modernisation et occidentalisation du Japon.
Un vieux papi japonais m'aborde en bon anglais. Il a l'air vraiment très content de me rencontrer et me propose de m'héberger chez lui à Tokyo. J'accepte l'invitation et on se dit "à bientôt". De retour en montagne, j'entame une longue ascension vers Tsuwano, un petit village, préservé et souvent appelé "Little Kyoto".
La suite de la route se déroule dans une magnifique vallée. La région est une des plus vieillissante du Japon, plus de 30% de la population dépasse les 65 piges. C'est également une région de sources chaudes. Cette fois je me prépare bien pour le soir. Quand on roule en montagne il faut être prévoyant. J'ai appris ma leçon de la manière dure. À l'entrée d'un village une grande aire de repos m'accueillit. Je demande à la vendeuse du magasin de souvenirs si je peux camper et elle ne voit pas d'objections. Avant de fermer la boutique elle m'apporte un repas en boîte. J'installe ma tente dans une super cachette et je prends ma douche improvisée. Cette fois j'ai même de l'eau chaude. C'est pas étonnant car la source chaude est à 500m.
J'ai l'impression que je ne suis pas le seul locataire ce soir. Un monsieur joue la flûte et fait des allers-retours vers sa camionnette qui ressemble plus à une maison. Une femme se promène au bord de la rivière et prend des photos. Elle arrive vers moi et engage la conversation. Elle est photographe professionnel à Tokyo. Elle est là pour rendre visite à sa grand-mère. Elle me propose d'aller dormir chez mamie mais je suis déjà bien installé dans ma maison à moi. Elle est vraiment impressionnée par ma tente et j'ai droit à une séance photo. Peut-être un jour je ferais la couverture d'un magazine.

Hagi

Résidence de Takayoshi Kido

Tsuwano

Jour 5

Le matin est frais mais je sens que le soleil essaie de grimper la colline et d'inonder la vallée de sa chaleur. Une descente douce m'emmène de nouveau sur la côte est. À l'approche de Iwakuni, on ne peut pas négliger le pont Kintaikyo. C'est un des plus beaux pont du Japon et voire au monde. Il a été construit au 18em siècle et a résisté de longues années avant d'être détruit pendant une guerre. Il a été finalement reconstruit dans les années 50 en utilisant les matériaux et méthodes d'origine. Je discute brièvement avec une dame qui me prévient que demain il va pleuvoir. Je lui fais confiance.
Le prochain arrêt c'est la fameuse île Miyajima et le Torii flottant. Je décide de profiter de mes jumelles et économiser quelques euros. Comme si j'y étais. Je vois des touristes partout, les bateaux pour l'île sont pleins à craquer.
J'entre dans l'agglomération de la tristement célèbre ville Hiroshima. Il est temps de trouver un endroit pour camper. Un grand panneau dit "Mont Gokurakujiyama Camping Site 11km". Dans la montée je croise une famille de singes. Je ne savais pas qu'il y en a avait au Japon. L'idée de faire du camping sauvage, sachant que ces petits malins rodent autour, ne me paraît pas très bonne. Je grimpe rapidement de 0m à 600m d'altitude. J'arrive aux portes du parc et je vois un grillage cadenassé. Je peux y accéder mais je n'ai pas envie d'avoir des problèmes avec les autorités. À 1km il y a un hôtel de luxe. Vu le nombre de voitures qui m'ont dépassé lors de la montée, il doit être très prisé. J'y vais et je demande si je peux camper dans le parc. On m'y autorise à condition de partir tôt le matin.

Le pont Kintaikyo

Regard télescopique

Jour 6

Prévision météo exacte, à 00h40 il se met à pleuvoir et pour la première fois je ne suis pas sous un abri. La pluie ne s'arrête pas toute la nuit et le matin je ramasse mes affaires sous la flotte. Je ne veux pas risquer de faire la descente dans ces conditions, la chute peut être grave. J'attends patiemment dans le lobby de l'hôtel et vers 9h le ciel d'éclaircit. L'attente vaut le coup, je reprends la route, mais ma joie ne dure qu'un bref instant. À peine dans la descente j'ai droit à une grosse averse qui se calme une fois arrivé sur le plat de la route côtière.
C'est bizarre d'arriver dans une ville qui a vu la bombe atomique. Tout touriste se doit de visiter le Mémorial pour la Paix, un grand parc où tout le monde marche paisiblement. Je n'y trouve pas le vacarme habituel des lieux touristiques. On peut y voir le symbole de la ville - Le Dôme, un des rares bâtiments à avoir résisté à l'attaque. Le musée offre un voyage dans le temps, fait revivre les horreurs de la guerre. En regardant les photos je me demande qui étaient les gentils et qui les méchants.